Concilier l’intérêt du couple et celui des enfants

Les personnes vivant à nouveau en couple après un divorce ou une sépa­ration sont généralement confrontées au souci de protéger leur nouveau conjoint ou concubin tout en ne dépossédant pas les enfants qu’ils ont eu de leur précédente union (les juristes disent « d’un premier lit »).

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Celui qui souhaite avantager son nouveau conjoint ou concubin doit avoir conscience que les avantages qu’il lui concède risquent de priver ces enfants d’une partie de leur héritage. Plusieurs outils juridiques permettent, cependant, de concilier l’intérêt des divers membres de la famille.

Quels sont les droits successoraux du concubin ?

Une personne vivant en union libre n’a aucun droit dans la succession de son compagnon ou de sa compagne. En cas de décès, ce sont les enfants du défunt ou, à défaut, ses père et mère et/ou frères et sœurs, voire ses parents plus éloignés, qui hériteront du défunt, mais pas son concubin. Et ce, que le couple soit ou non pacsé.

La loi a certes supprimé les droits de succession entre partenaires de pacs, mais ces derniers ne figurent toujours pas dans la liste des héritiers légaux, contrairement au conjoint survivant. Pour transmettre des biens à son partenaire en cas de décès, il faut donc impérativement rédiger un testament en sa faveur. Cependant, lorsque le testateur (celui qui rédige le testament) a des enfants, communs ou non, la part qu’il peut léguer à son partenaire est limitée à la « quotité disponible », variable en fonction du nombre d’enfants du défunt. La quotité disponible est fixée par la loi en fonction du nombre d’enfants laissés par le défunt : elle représente la moitié de la succession s’il y a 1 enfant, le tiers s’il y en a 2, le quart s’il y a 3 enfants ou plus.

Vous devez aussi vous limiter à la quotité disponible lorsque vous consen­tez une donation de votre vivant à votre partenaire de pacs (une telle libéralité bénéficie d’un abattement de 80 724 € actuellement). Certes, tout héritier réservataire majeur peut renoncer expressément à l’avance à exercer son action en réduction à l’encontre d’une libéralité (donation ou legs) qui porterait atteinte à sa part de réserve, en totalité ou en partie.

Cependant, dans les faits, ce geste devrait être réservé aux donations favorisant un frère ou une sœur vulnérable (souffrant d’un handicap, par exemple).

Le partenaire qui souhaite avantager encore plus l’autre peut souscrire un contrat d’assurance vie à son profit. Le bénéficiaire du contrat recevra alors le capital en plus de sa part de succession, sans rien devoir au fisc et sans risque d’ingérence des enfants, dès lors, du moins, que les primes ne sont pas exagérées.

Faute de pacs, la situation du légataire simple concubin est bien moins avantageuse : la part léguée par testament sera taxée au tarif entre non-parents, soit 60 %, après application d’un abattement de 1 594 € seule­ment (le tarif est le même, mais sans aucun abattement en cas de donation au concubin). Seule l’assurance vie permet alors de léguer une somme importante (jusqu’à 152 500 €) à son concubin non pacsé en franchise de droits fiscaux.

[box type= »info » style= »rounded »]A savoir : Se marier reste encore la meilleure solution pour protéger la personne avec qui on partage sa vie. Le mariage offre une protection supérieure à l’union libre et même au pacs grâce, notamment, à la possibilité de faire une donation entre époux, qui accroit grandement la part d’héritage du conjoint survivant.[/box]

Quels sont les droits successoraux du nouveau conjoint ?

Les droits que la loi accorde à l’époux survivant sont restreints face aux enfants nés d’une première union du défunt. Quand les enfants sont communs aux deux époux, le conjoint survivant peut choisir de rece­voir 1 /4 de la succession en pleine propriété ou l’usufruit de toute la succession. Ce choix est exclu lorsque le défunt laisse un ou plusieurs enfants qu’il a eu (s) avec une autre personne que l’actuel conjoint (nés d’une précédente union ou hors mariage). Et ce, même si le couple a des enfants communs. Dans une telle situation, l’époux survivant hérite seulement d’1/4 de la succession en pleine propriété. L’option pour l’usufruit est écartée par la loi pour éviter de possibles différends dans la gestion des biens successoraux. Rappelons que l’usufruitier d’un bien peut l’utiliser et en tirer des revenus. Le nu-propriétaire n’a, lui, qu’un droit de propriété virtuel sur ce bien. Ce n’est qu’au décès de l’usufruitier qu’il deviendra entièrement propriétaire du bien.

Peut-on accroître les droits du conjoint survivant ?

Comme dans une famille classique, une donation entre époux passée devant notaire (dite aussi « au dernier vivant ») permet d’accroître les droits de son conjoint facilement et à moindres frais (comptez environ 165 € pour un époux, le double si chacun consent une donation à l’autre). Lorsque le défunt laisse des descendants (enfants, petits-enfants…), l’acte de donation entre époux donne généralement au conjoint le choix entre trois possibilités (art. 1094 du Code civil) : soit recevoir l’usufruit de toute la succession ; soit un quart de la succession en pleine propriété et les trois quarts restants en usufruit ; soit, enfin, la « quotité disponible » de la succession en pleine propriété, variable en fonction du nombre d’enfants du défunt. Dans le cas d’une famille recom­posée comportant des enfants d’un premier lit, la donation entre époux redonne donc au veuf ou à la veuve le choix entre des droits en pleine propriété ou des droits en usufruit sur la succession.

La donation entre époux est-elle la panacée ?

La donation entre époux traditionnelle comportant les 3 options peut s’avérer inadaptée en raison même de l’existence d’enfants d’un premier lit. Sa mise en œuvre peut, en effet, compliquer leurs relations avec leur beau-père ou belle-mère, voire aboutir à spolier les enfants non communs d’une partie de leur héritage.

Supposons un couple remarié ayant chacun des enfants d’une précédente union. Les conjoints se sont consenti une donation entre époux classique. Première possibilité : au décès du premier conjoint, l’époux survivant opte pour l’usufruit de toute la succession. Il conserve alors la jouissance des biens de la succession, notamment le droit de rester dans le loge­ment familial ou de le donner en location, celui de disposer des comptes bancaires et d’encaisser les revenus (loyers, revenus de placements…). Une solution acceptable lorsque le conjoint est déjà âgé. En revanche, ce n’est pas le cas s’il est à peine plus vieux que les enfants d’un premier lit.

Ces derniers ne profiteraient jamais de leur héritage. Les enfants du défunt devraient, en effet, attendre le décès de leur beau-père ou belle-mère, et l’extinction de son usufruit, pour entrer en possession de leur héritage. Deuxième possibilité : le conjoint opte pour 1 /4 de la succession en pleine propriété et 3/4 en usufruit. Dans cette hypothèse, non seule­ment les enfants d’un premier lit subiront les contraintes de l’usufruit, si le conjoint est encore jeune, mais, au final, ils seront privés d’une partie de leur héritage. Au décès du second conjoint, en effet, le 1 /4 en pleine propriété reçu grâce à la donation entre époux ira à ses propres héritiers et non aux enfants de son conjoint. De même, les enfants d’un premier lit pourront être privés de leur héritage si le conjoint opte pour la troisième possibilité, la quotité disponible en pleine propriété. Elle peut, en effet, atteindre la moitié de la succession lorsque le défunt n’avait qu’un enfant.

[box type= »info » style= »rounded » border= »full »]A savoir : Pour que les enfants d’un premier lit ne soient pas trop désavantagés, leur père ou leur mère peut souscrire un contrat d’assurance vie à leur profit. De cette façon, s’il décède le premier, ses enfants recevront un capital en plus de leur part d’héritage.[/box]

Comment concilier l’intérêt du conjoint et celui de ses enfants ?

L’époux qui souhaite apporter une protection maximale à son conjoint peut employer les moyens éprouvés que sont la donation au dernier vivant et l’assurance vie. En revanche, s’il entend arriver à un équilibre entre la protection de son conjoint et l’intérêt de ses enfants d’un premier lit, la tâche est plus ardue.

Dans ce cas, les notaires préconisent de recourir à un outil juridique permettant de faire du sur mesure, comme le testament. Le choix se fera alors le plus souvent entre l’attribution à l’époux survivant d’un usufruit, qui ne prive pas trop longtemps les enfants de la jouissance des biens, et l’attribution d’une part de succession plus importante en pleine propriété, qui prive les enfants d’une partie de leur héritage, mais leur permet de profiter immédiatement du reste.

Par exemple, lorsque le conjoint est déjà âgé, il peut être judicieux de lui léguer seulement l’usufruit de certains biens (logement, apparte­ment locatif, portefeuille de titres. De cette façon, il maintiendra son niveau de vie et les enfants pourront espérer récupérer la pleine propriété de ce patrimoine successoral à court ou moyen terme. Si la différence d’âge entre les époux est importante, il s’avère plus judicieux de léguer au conjoint le plus jeune certains biens en pleine propriété, comme le logement familial, par exemple. Ainsi, il ne sera pas en indivision sur le ou les biens légués, avec les enfants, notamment ceux d’un premier lit du défunt. Le conjoint survivant pourra revendre ensuite librement le bien, s’il le souhaite. Si le conjoint ne désire pas conserver le logement familial, le legs peut porter sur un autre bien, comme la résidence secondaire du couple. Il en va de même si le logement familial est un « bien de famille » que l’époux propriétaire souhaite voir transmis à ses enfants. Dans ce cas, si son patrimoine le permet, il peut léguer un autre logement à son conjoint, ou lui assurer les moyens de se reloger, en souscrivant un contrat d’assurance vie à son profit, par exemple. Il doit, en outre, le priver de ses droits légaux sur sa succession, mais aussi de son droit d’usage à vie sur le logement familial et les meubles prévu par l’article 764 du Code civil, pour qu’ils reviennent à ses enfants. Ce qui n’est possible que par le biais d’un testament notarié.

Quels sont les atouts du legs graduel ?

Un legs graduel permet à une personne de léguer un bien à une autre, tout en précisant à qui ce bien reviendra au décès du premier légataire. Cette technique est d’un grand intérêt dans une famille recomposée. Vous pouvez ainsi transmettre un bien à votre conjoint et être certain qu’à son décès, vos enfants d’un premier lit en hériteront. Vous disposez ainsi d’une alternative à l’attribution de droits en usufruit, en évitant de créer un démembrement de la propriété entre l’usufruitier (votre conjoint) et les nus-propriétaires (vos enfants). Ce qui peut poser problème en cas de mauvaise entente entre les intéressés. Concrètement, votre époux, bénéficiaire du legs graduel, reçoit la pleine propriété des biens légués. Il en assure seul la gestion, mais il ne peut pas les vendre ni les donner. Il est tenu de les conserver jusqu’à son décès. À cette date, ces biens reviendront à vos enfants, que vous aurez désignés comme seconds bénéficiaires de la libéralité. Cette technique permet de conserver intacte leur part d’héritage, puisqu’ils la recueilleront au décès de votre conjoint.

[box type= »info » style= »rounded » border= »full »]A savoir : Sur le plan fiscal, vos enfants seront censés avoir hérité directement de vous. Ils bénéficieront donc du tarif applicable entre parents et enfants, et notamment de l’abattement de 100 000 € en ligne directe.[/box]

Les avantages matrimoniaux sont-ils efficaces dans une famille recomposée ?

Des « avantages matrimoniaux » peuvent être prévus au profit du conjoint survivant dans un contrat de mariage notarié. Les époux peuvent, par exemple, adopter le régime de la communauté, l’un des époux apportant alors à la communauté certains biens personnels, comme le logement familial. Cette mise en commun avantage l’autre époux, qui devient immédiatement propriétaire de la moitié du bien. De plus, si son conjoint décède en premier, il conservera cette moitié et il aura des droits sur l’autre moitié de ce bien.

L’avantage concédé au conjoint survivant peut cependant être contesté par les enfants d’un premier lit de l’époux qui décède en premier. Ces enfants disposent, en effet, d’une arme redoutable, « l’action en retran­chement », qu’ils peuvent exercer dès le décès de leur parent. Cette action leur permet de faire réduire un avantage matrimonial s’il est excessif. C’est-à-dire s’il procure à leur beau-parent plus que ce à quoi il aurait eu droit en vertu d’une donation entre époux. Dans ce cas, le conjoint doit dédommager les enfants d’un montant correspondant à leurs droits. L’action en retranchement permet ainsi aux enfants d’un premier lit de toucher leur part d’héritage.

De la même façon, les notaires déconseillent généralement l’adoption de la communauté universelle lorsqu’il y a des enfants d’un premier lit. Dans une telle situation, en effet, la clause d’attribution intégrale de la communauté, censée protéger le conjoint survivant, perd de son efficacité. Cet avantage matrimonial peut être remis en cause par l’action en retranchement des enfants d’un premier lit du défunt. Ces derniers ont, en effet, intérêt à utiliser cette action. Sinon, ils seraient totalement déshérités, puisqu’ils n’héritent pas du conjoint survivant, avec lequel ils n’ont aucun lien de parenté. Les biens de celui-ci iraient à ses propres héritiers.

[box type= »info » style= »rounded » border= »full »]A savoir : La communauté universelle n’est guère envisageable que si le beau-parent accepte d’adopter les enfants de son conjoint. Dans ce cas, ces derniers hériteront de lui à son décès et récupéreront ainsi leur part d’héritage.[/box]

Les enfants peuvent-il renoncer à l’avance à l’action en retranchement ?

Les enfants d’un premier lit peuvent, s’ils le souhaitent, renoncer à l’avance à utiliser leur action en retranchement jusqu’au décès du conjoint sur­vivant (art. 1527 du Code civil). De cette façon, le conjoint survivant pourra bénéficier à plein des avantages matrimoniaux, tels que la clause d’attribution intégrale de la communauté. Cette attitude est possible si les enfants sont à l’abri du besoin et entretiennent des rapports affectifs étroits avec leur beau-père ou leur belle-mère. Cette renonciation constitue un véritable pacte familial qui, tout en favorisant le conjoint survivant, ne préjudicie pas aux enfants. En effet, la renonciation n’est que tempo­raire : au décès de leur beau-parent, les enfants d’un premier lit pourront exercer leur action en retranchement et récupérer leur part d’héritage. Afin de préserver leurs droits, les enfants ayant renoncé à leur action ont tout intérêt à faire dresser un inventaire des différents biens composant la succession. Ainsi, au décès du nouveau conjoint, il sera plus facile pour eux de récupérer les biens transmis par leur parent.